La simulation informatique touche à des questions à la fois épistémologiques et philosophiques complexes. Pour les aborder, il est nécessaire de comprendre les positions de chacun sur les simulations et la manière dont elles apparaissent dans leurs travaux respectifs.
Dans sa critique de la position de Bachelard (Bachelard avec la simulation informatique : nous faut-il reconduire sa critique de l’intuition ?), Franck Varenne aborde la spécificité des simulations informatiques. Sa conception de ces objets est-elle compatible avec celle de Wolfram ?
La question de savoir si la conception des simulations informatiques par Franck Varenne est compatible avec celle de Stephen Wolfram touche à des questions à la fois épistémologiques et philosophiques complexes. Pour aborder cela, il est nécessaire de comprendre les positions de chacun sur les simulations informatiques et la manière dont elles sont perçues dans leurs travaux respectifs.
La position de Franck Varenne :
Franck Varenne, dans ses travaux, s’intéresse aux rapports entre la pensée scientifique, la technique et les modèles de connaissance. Dans sa critique de la position de Gaston Bachelard, Varenne soulève la question de la place de l’intuition dans les sciences et examine comment les nouvelles techniques, comme les simulations informatiques, redéfinissent les modes de validation et de compréhension des phénomènes. Bachelard, dans sa réflexion sur la science, avait rejeté l’intuition comme un moyen fiable de connaissance scientifique, préconisant au contraire un recours à la rigueur de la méthode scientifique, qui exclut les formes de savoir non-objectivées.
Varenne pousse cette réflexion plus loin, en analysant comment les simulations informatiques, en tant qu’outils de modélisation et de représentation des phénomènes, affectent notre relation à l’intuition et à la connaissance. Les simulations sont perçues comme des dispositifs qui permettent de tester, de visualiser et d’expérimenter avec des phénomènes complexes, mais elles ne sont pas exemptes de leurs propres limites et biais. Varenne met en garde contre l’illusion d’objectivité que peuvent donner ces simulations, rappelant que les résultats des simulations sont toujours conditionnés par les hypothèses, les choix de modélisation et les données d’entrée.
La position de Stephen Wolfram :
Stephen Wolfram, quant à lui, aborde la simulation informatique sous un autre angle, avec une approche largement axée sur la **computational irreducibility** (irréductibilité computationnelle) et les systèmes dynamiques. Il soutient que de nombreux systèmes complexes, y compris ceux observés en physique, en biologie et en sciences sociales, peuvent être modélisés et compris à travers des simulations basées sur des règles simples, notamment des automates cellulaires. Pour Wolfram, la simulation informatique n’est pas seulement un moyen de tester des hypothèses, mais aussi un moyen fondamental pour découvrir des comportements complexes qui ne peuvent pas être prédit à partir de simples analyses ou de modèles analytiques traditionnels
Wolfram insiste sur le fait que la simulation peut révéler des phénomènes irréductibles aux méthodes classiques, montrant que la complexité dans la nature émerge de la répétition de règles simples appliquées à des systèmes dynamiques. Par conséquent, ses simulations ont une place centrale dans sa théorie, non seulement comme outil de validation mais aussi comme moyen d’explication des phénomènes eux-mêmes.
Compatibilité des deux conceptions :
Bien que les deux positions se rapportent à l’usage des simulations informatiques, elles diffèrent substantiellement dans leur approche épistémologique et philosophique.
1. Pour Varenne, les simulations informatiques ne sont pas un simple outil d’investigation, mais elles sont également un reflet de nos propres choix cognitifs, méthodologiques et ontologiques. Il semble qu’il s’inquiète de la tendance à prendre ces résultats simulés pour des "vérités" objectives sans remettre en question les choix qui les sous-tendent. L’influence de Bachelard est ici manifeste : Varenne semble se méfier de l’intuition et des résultats informatiques qui risquent de reproduire des biais cognitifs sous couvert de précision technique.
2. Pour Wolfram, la simulation n’est pas simplement un reflet des choix humains, mais un moyen d’explorer la réalité sous un nouveau paradigme, où la complexité émerge naturellement de simples règles. Pour lui, les simulations permettent de découvrir des phénomènes qui échappent à l’intuition humaine, mais ils sont tout de même ancrés dans un cadre de calcul qui, selon lui, est fondamentalement plus proche de la réalité que les approches analytiques traditionnelles.
Points de divergence :
Modélisation et intuition : Alors que Varenne critique l’illusion d’une objectivité purement technique dans les simulations informatiques et leur lien avec l’intuition humaine, Wolfram semble adopter une position qui attribue à la simulation une capacité presque révélatrice, où l’intuition est remplacée par des mécanismes computationnels qui révèlent des vérités sous-jacentes.
Réduction de la complexité : Varenne semble plus préoccupé par les limitations des simulations comme outils de connaissance (notamment les biais et les approximations), tandis que Wolfram voit dans la simulation un moyen de dépasser ces limitations pour saisir des phénomènes complexes dans leur totalité.
Conclusion :
Les conceptions de Franck Varenne et de Stephen Wolfram sur les simulations informatiques ne sont donc pas totalement compatibles. Tandis que Wolfram valorise les simulations comme une voie pour découvrir des comportements complexes au-delà de l’intuition humaine, Varenne reste plus critique à leur égard, soulignant les risques de réduction excessive et d’illusion de compréhension. Varenne, fidèle à une approche plus pragmatique et critique de l’épistémologie, semble plus soucieux des biais et des limitations des simulations, alors que Wolfram considère les simulations comme une porte d’entrée vers une compréhension plus profonde et plus exacte de la réalité.